Une artiste en honore une autre : En souvenir de Liz Davidson…
Pour souligner le mois de la poésie, France Mongeau, écrivaine, professeure de littérature et membre du Comité artistique DAR, a choisi un poème qu’elle dédie à la mémoire de Liz Davidson, artiste reconnue et membre appréciée de notre communauté, décédée le mardi le 12 janvier 2021.
Liz a non seulement été une grande artiste mais aussi la co-fondatrice du Tour des Arts et de plusieurs autres organismes culturels de la région.
Nos plus sincères condoléances à sa famille et ses ami.es.
L'équipe DAR
Blue Study 8, 2020. Huile sur toile
Oeuvre de Liz Davidson
Source : lizdavidsonartist.blogspot.com
Les oies de Riopelle
To Liz and John
1
l’oiseau n’a pas rejoint ses frères assemblés sur les terres voisines
le squelette écartelé de ses ailes s’est accroché aux parois sèches de la grotte où les ocres et les noirs minéraux racontent l’exaltation de pouvoir s’arracher de cette gravité terrestre maudite mal-aimée
gravité du corps sans cesse rappelé par ses propres cendres peau terreuse muscles-rivières gestes amoureux de la rondeur du jour
2
l’oiseau respire encore malgré son immobilité d’argile de poussière et de roc
le souffle de la pierre ranimé par les flammes dessine l’armature fragile et séculaire de la première chair vivante
le réseau des veines est encore visible et dicte dans son impétuosité millénaire le premier envol conservé pour notre mémoire
le premier envol conservé au creux des grottes par les premiers dessins
3
ici l’empreinte n’est plus de poudre d’os mais d’acrylique
et les traces des mains en aplat sur les parois fraîches de l’atelier marquent l’éternelle déroute fiévreuse du corps
le corps grave mais aimant de l’homme incliné au-dessus de son travail
son chagrin pur éclabousse les figures primitives des cercles et des chasses aux grands oiseaux des marais
4
La sensualité des paumes épouse la liberté du vivant dans un assemblage fou de couleurs de ferrailles et de filets
les armes blanches et nocturnes protègent les souffles meurtris étranges sonars du fond des eaux où fraient les premiers atomes
l’aigle blanc du nord rapace incendié par les doigts de l’artiste est un mage espion diseur de bonne aventure
5
les kilomètres de route s’allongent en cascades d’arbres et de prairies jaunes de froid et les oiseaux infatigables fuient
les oiseaux bernaches et malards fuient en scandant leurs cris rappels incessants du parcours à suivre
imprimé dans l’œil et la nervure de leurs ailes le tracé aveugle du nord vers le sud celui-là même gravé sur les parois fraîches des grottes
gravé dans l’ossature du corps le vivant des terres à survoler pour atteindre les grands marais
6
l’or et l’argent des outils jetés sur le sol scintillent dans l’atelier
dans ce fouillis de papier et de pierres sablées passent le rire les robes fraîches et les gestes de la main amoureuse
signaux visibles du ciel pour l’oiseau et ses frères qui telles des fleurs migrantes retournent dans la neige des Nords
la poudre blanche crachée sur la main pour en tracer le contour marque passage repos le travail arraché du sol quelques secondes
le travail oublieux de sa propre gravité levé contre la détresse du monde s’imaginant volcan
France Mongeau
Les oies de Riopelle dans « Le choc de l’art ». Montréal : Arcade no 59, 2003